En campagne

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On tente de nous imposer un ordre "chimique"

Entretien
Alimentation : "On tente de nous imposer un 'ordre' chimique"
LE MONDE | 05.03.10 | 15h35

Face à l'augmentation des pathologies liées à l'alimentation (cancers,
maladies cardio-vasculaires,
diabète, obésité...), le docteur Laurent Chevallier
<http://www.lemonde.fr/sujet/d026/laurent-chevallier.html> , praticien
attaché au CHU de Montpellier et
président de la commission alimentation du Réseau environnement santé (RES),
aborde ce sujet dans un
livre, Mes ordonnances alimentaires. Comment vous soigner par une bonne
alimentation (éd. Les liens qui
libèrent, 265 p., 19 euros), paru en février. Ce spécialiste de la nutrition
soutient par ailleurs
l'initiative du collectif de l'Appel de la jeunesse, lancé le 25 février,
pour que "cesse l'augmentation
du nombre de cancers, et que le lien entre l'environnement et la santé soit
mieux considéré par les
décideurs politiques et économiques ainsi que l'ensemble des citoyens".
Pensez-vous que notre alimentation joue un rôle sur la santé ?
Plus que jamais. On tente de nous imposer un "ordre" chimique avec des
substances qui créent des
désordres physiologiques dans notre corps. Ce sont les produits chimiques
employés dans l'agriculture,
des additifs alimentaires (colorants, conservateurs, etc.) aux effets
imparfaitement maîtrisés. Autre
exemple : l'acrylamide. Il s'agit d'une substance se formant lors de la
cuisson de certains aliments
riches en hydrates de carbone (en glucides). De multiples aliments
industriels en contiennent à des taux
variables, notamment les chips, les pétales de céréales du petit déjeuner
(mais pas les mueslis).
Il faudrait que les instances internationales limitent l'exposition de cette
substance classée
"probablement cancérigène pour l'homme". Le taux d'acrylamide devrait au
moins être indiqué sur les
étiquettes, notamment des cafés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Que pensez-vous des emballages alimentaires ?
Il faut limiter drastiquement l'usage des plastiques alimentaires et mettre
en place une réglementation,
de toute urgence. Les méthodes d'analyse actuelles de leurs effets sur la
santé sont totalement obsolètes
selon de nombreux toxicologues.
Dans l'immédiat, on peut recommander la consommation de produits frais, de
privilégier les contenants en
verre et de supprimer ou de modifier la composition des cannettes. Il faut
penser à des emballages plus
respectueux de l'environnement, notamment pour les surgelés.
Vous parlez dans votre livre des perturbateurs endocriniens, de quoi
s'agit-il ?
Ce sont des molécules non produites par l'organisme qui miment l'action de
différentes hormones et
peuvent entraîner divers troubles ou maladies : infertilité, diabète (en
progression de 40 % en neuf
ans), maladies cardiovasculaires, cancers (les nouveaux cas de cancers, aux
causes multifactorielles, ont
doublé en vingt-cinq ans) et même certains troubles du comportement. On
trouve ces perturbateurs
endocriniens dans divers plastiques contenant du bisphénol A, des phtalates
(un assouplissant) mais aussi
les pesticides, les solvants.
Pensez-vous que l'action des pouvoirs publics soit suffisante ?
Certainement pas. Toutes ces substances chimiques combinées entre elles
posent problème. La crise
sanitaire est là, et les mesures adaptées tardent à venir. On ne doit pas se
retrouver dans la situation
de l'amiante ou du distilbène.
Dans le monde rural, les agriculteurs sont les premières victimes des
produits insecticides,
herbicides... Il faut aussi améliorer la qualité de la nourriture des
animaux, continuer à mieux orienter
certaines pratiques agricoles, favoriser la filière bio et arrêter cet usage
abusif de la chimie.
Pourquoi ne pas envisager tout simplement un grand ministère de l'écologie,
de l'aménagement du
territoire et de l'agriculture et de la pêche, et mettre l'alimentation
uniquement sous l'égide du
ministère de la santé ?
Comment analysez-vous la progression de l'obésité en France ?
Les gens continuent à grossir alors que, globalement, ils mangent moins.
C'est donc la nature même de
l'alimentation - industrielle - qui est impliquée, et pas uniquement le
nombre de calories ingérées. La
flore digestive (bactéries présentes dans le tube digestif), déséquilibrée
par une nourriture trop
grasse, trop sucrée, trop chimique, semble favoriser l'accumulation de
graisses dans le corps, et les
perturbateurs endocriniens jouent un rôle sur la progression de l'obésité.
On s'est aussi aperçu que les facteurs environnementaux, notamment
chimiques, peuvent modifier
l'expression des gènes ! Cela peut favoriser les maladies métaboliques,
c'est le phénomène dit
épigénétique qui laisse une empreinte pouvant se transmettre d'une
génération à l'autre.
Parallèlement, il faut évidemment favoriser une alimentation plus
respectueuse de la physiologie de
l'organisme (pas de boisson sucrée ou édulcorée), l'activité physique à
l'école, qui diminuera le stress
des enfants mais aussi les difficultés scolaires. L'agitation de certains
d'entre eux est probablement
pour partie aussi liée à des perturbateurs endocriniens, une dimension
totalement négligée jusqu'à
présent.
Est-ce que vous constatez l'émergence de nouvelles maladies ?
On constate l'apparition de nouvelles maladies comme la fatigue chronique,
la fibromyalgie (douleurs
musculaires qui perdurent) ou l'hypersensibilité à différents produits
chimiques, ce que les Américains
appellent les MCS ou Multiple Chemical
<http://www.lemonde.fr/sujet/1a1b/multiple-chemical.html>
Sensitivity. Douze pour cent de la population en serait atteinte aux
Etats-Unis, mais on a encore peu
d'éléments sur ces troubles. Ils sont néanmoins fort handicapant pour les
patients qui les ressentent.
Certaines orientations nutritionnelles semblent pouvoir aider (apport en
antioxydants alimentaires,
prudence avec le glutamate...). Pour l'instant on est dans le domaine
empirique.
Propos recueillis par Pascale Santi



09/03/2010
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