En campagne

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On ne vous dit pas tout, mais on va essayer

 Article tiré de Rue89

Peut-on appeler à la défense de l'intérêt général et défendre sa petite entreprise ? Cas d'école : celui du secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet, qui possède une société de distribution de bateaux équipés de bois précieux africains.

Lorsqu'il est monté dans l'avion direction Libreville avec Nicolas Sarkozy, Alain Joyandet a endossé pour 48 heures ses habits de représentant de la République. Quand, ce week-end, il sera de retour en Franche-Comté, où il dirige la liste UMP pour les régionales, il pourra se transformer en VRP de l'esprit d'entreprise.

Et pour cause : malgré l'obligation faite aux membres du gouvernement d'interrompre « toute activité professionnelle » (article 23 de la Constitution), Alain Joyandet reste l'actionnaire majoritaire d'une kyrielle de sociétés, sans y avoir de responsabilités opérationnelles :

  • Il possède 99% de Mediatour, SARL jouant le rôle de holding, les autres actionnaires étant sa femme et ses trois enfants, la société est gérée par Martine Joyandet ;
  • Mediatour possède 80% de Bateaux Moteur Bavaria France, SARL gérée par Elodie Sassard, spécialisée dans « l'achat, la vente, l'importation, l'exportation et la location de bateaux à moteur » ;
  • Mediatour possède 80% d'Europe Yachts, SARL gérée aussi par Elodie Sassard, spécialisée dans « la vente, l'achat, la location de tous navires de plaisance et de tous accessoires, accastillage, agrès, apparaux ».
  • Mediatour possède 80% de Yachting Selection, SARL gérée par Elodie Sassard, dont l'objet est « l'achat, la vente, la location de bateaux, les opérations de courtage maritime, d'assurances et de services divers attachés aux bateaux ».

Précisions : Martine Joyandet est l'épouse du secrétaire d'Etat, Elodie Sassard est leur fille.

Joyandet est distributeur du deuxième fabricant allemand de bateaux de plaisance

« Depuis le 19 mars 2008, précise Alain Joyandet par le biais de sa conseillère presse, j'ai abandonné toute activité professionnelle. »

En fait, c'est le 31 mars 2008, au cours d'une assemblée générale, que le nouveau secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie abandonne à sa femme la gérance de la société.

Mediatour, société au capital d'1,850 million d'euros, peut donc continuer à superviser l'activité des sociétés du groupe. L'ensemble a notamment pour activité la distribution des bateaux Bavaria. Bavaria ? Un constructeur allemand de voiliers et bateaux à moteurs.

Même si elle a été revendue en octobre 2009 par le fonds Bain Capital pour 300 millions d'euros (contre un rachat de 1,3 milliard en 2007), la société Bavaria écoule environ 3 500 unités par an. Ce qui en fait le deuxième fabricant européen de bateaux de plaisance, juste derrière le français Bénéteau.

Sur les 26 modèles de bateaux, tous ont des bois précieux

Pour relancer son offre sur les voiliers haut-de-gamme, Bavaria a récemment créé le 55, un modèle luxe dessiné par le grand architecte naval néo-zélandais Bruce Farr et les designers de BMW. Le tout pour la coquette somme de 309 764 euros, « livré en France ». A ce prix, voici ce que les marins ont :

« Wenge pour le plancher, chêne pour les meubles, formes rectilignes, le carré du 55 ouvre une nouvelle ère. »

A priori, rien d'exceptionnel dans cette légende photo de Voile magazine (p. 39, numéro de juillet 2009). Sauf que le « wenge » est une espèce de bois africain exotique très prisée des esthètes mais aussi de plus en plus rare.

En feuilletant le catalogue de Bavaria, Arnaud Labrousse, expert de l'exploitation des bois tropicaux, a relevé plusieurs mentions :

« Iroko
Plateforme de bain avec Iroko
Bancs et fond de cockpit Iroko »

« Acajou
Intérieur acajou bois massif et plaqué fine line
Plateforme de bain en teck
Table cockpit en Iroko »

Les 26 modèles neufs proposés à la vente sur le site de Yachting Selection comportent des essences de bois précieux en version standard. Sur 10 modèles, il est question d'un « intérieur acajou bois massif et plaqué ». Teck, iroko, acajou et wenge… autant d'espèces de bois exotiques qui font l'objet d'une attention soutenue de la part des ONG environnementales.

« Espèces en danger » ou « quasi menacées »

Très à la mode depuis quelques années, ces bois exotiques sont couramment utilisés dans la charpenterie de marine. A la fois par souci esthétique, mais surtout parce qu'ils sont très résistants et imputrescibles comme le teck.

Problème : certains de ces bois utilisés par Bavaria sont aujourd'hui classés parmi les espèces en danger. C'est le cas de milletia laurentii, le wengue exploité au Cameroun et en République démocratique du Congo. La Prota, une fondation qui répertorie les ressources végétales de l'Afrique tropicale, indique :

« Millettia laurentii est inclus comme espèce en danger dans la liste rouge de l'UICN, en raison de la dégradation de son milieu et de sa surexploitation. Au Cameroun, un permis spécial est exigé pour l'exploitation de millettia laurentii. »

L'évaluation de la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature est l'une des plus anciennes (1963) et des plus sérieuses qui soit.

Dans une longue lettre adressée à Alain Joyandet, Arnaud Labrousse cite l'exemple de l'iroko :

« L'iroko (milicia excelsa) est une des essences phares des sociétés forestières multinationales actives en Afrique. Il s'agit d'une essence “ quasi menacée ” selon l'Union mondiale pour la nature. »

Labrousse n'a reçu aucune réponse du cabinet du secrétaire d'Etat à la Coopération. Aux questions de Rue89, Alain Joyandet s'est contenté d'un :

« Je n'ai rien à me reprocher et je n'ai aucun doute sur le fait que Bavaria respecte les directives européennes en matière de quotas. Appelez-les. »

Bavaria n'a pas répondu à notre demande d'explication sur la politique de gestion de ces bois précieux. A priori, rien d'illégal, mais la traçabilité de ce type d'essence reste encore assez floue.

Joyandet favorable à une exploitation dans des « conditions durables »

Tout cela pourrait rester une querelle d'experts si le gouvernement n'avait pas fait de sa politique africaine un modèle de « rupture ». En s'arrêtant au Gabon, avant son étape rwandaise, Nicolas Sarkozy avait bien l'intention d'aborder le sujet.

Officiellement, il est toujours question de protéger la filière et ses essences rares. En réalité, le bras de fer qui oppose Libreville aux forestiers est cette interdiction d'exportation des grumes en 2010, annoncée en novembre dernier par les Gabonais. Ali Bongo a ainsi voulu taper du poing sur la table, obligeant les forestiers à transformer l'essentiel de leur production sur place. Impossible, répondent ces derniers, arguant du manque de main-d'œuvre qualifiée.

Dans ce dossier, Alain Joyandet est à la manœuvre, à coups de discours volontariste lorsqu'il parle aux agents de l'Agence française de développement :

« Exploiter la forêt dans des conditions durables comme dans le cadre de l'initiative du bassin du Congo, c'est se donner le moyen d'accéder aux marchés les plus exigeants et les plus rémunérateurs. »

Ajoutant même :

« Je suis convaincu que les entreprises françaises sont bien placées dans la concurrence mondiale au regard de tous les critères qui précèdent. »

Est-ce le représentant de la République ou l'homme d'affaires qui s'exprimait dans ce colloque intitulé « Entreprendre pour le développement » ?

Rectifié le 24/2 à 18h34. Alain Joyandet est maire de Vesoul, et non de Chalon-sur-Saône.



26/02/2010
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